Du 13/09/2016 au 22/10/2016
Lors de son interview avec Catherine Millet dans Les Lettres françaises, Manfred Mohr, jeune peintre expressionniste, la trentaine, racontait qu’ « il se trouvait à l’aise dans son époque et qu’il était prêt à accueillir les robots comme ses semblables» de la même façon qu’il admettait « toute machine d’information - calculateur électronique - comme dotée d’une véritable personnalité ».
Nous sommes en 1968 à la Galerie Daniel Templon, à l’occasion de la première exposition de Manfred Mohr. Pionnier de l’utilisation à des fins artistiques de ce qui par la suite sera appelé ordinateur, Manfred Mohr était dans les années 60 un musicien actif, jouant du saxophone dans les clubs de jazz, à coté de son activité d’artiste plasticien.
Influencé par l’Expressionnisme abstrait, la rencontre de Max Bense, père de l’Esthétique de l’information (1956) l’inspire et fait naitre une forme d’art plus rigoureux, clair et logique. Mohr commence alors à développer ce qu’il appellera une « géométrie surréaliste » : il introduit algorithmes et règles formelles à sa pratique en peinture afin d’exprimer sa vision de façon plus rationnelle.
Son ami compositeur Pierre Barbaud, parmi les premiers à avoir expérimenté la musique algorithmique, l’encourage à utiliser l’ordinateur comme outil d’expression visuelle.
C’est donc pendant sa période parisienne, dans le climat d’effervescence artistique et culturelle de Mai 68 que Manfred Mohr a accès pour la première fois au calculateur de l’Université de Vincennes. Apres avoir testé en 1969 un traceur au Brookhaven National Lab à New York et ensuite à l’université de Darmstadt en Allemagne (table traçante Zuse), il lui a été accordé ensuite l’accès à l’Institut Météorologique de Paris, la nuit, aux horaires de fermeture ; il y réalise pendant 13 ans ses dessins assistés par ordinateur (plotter drawings) sur une table traçante (traceur à plat) Benson.
Suivra en 1971 « Esthétique programmée », son exposition à l’ARC, Musée d’art Moderne de la Ville de Paris, désormais reconnue comme la première exposition personnelle d’art digital dans un musée.
En 1973, il place au centre de sa philosophie et de son esthétique une structure fixe : le cube, modèle primordial de la pensée et création constructiviste.
Vers 1977, il passe à l’exploration géométrique de «l’hypercube » : un cube à quatre dimensions (…plus tard à des dimensions plus hautes) qui existe mathématiquement ; un espace « inconcevable, mais computable ».
Depuis, l’artiste n’a pas cessé d’expérimenter grâce aux possibilités illimitées de l’ordinateur, de générer de façon algorithmique un ensemble continu de formes. Cette complexité algorithmique s’est déployée au travers de plotter drawings, d’animations créées en temps réel, de sculptures, dessins et tableaux issus de ce processus.
Lors de la transition du dessin libre vers l’ordinateur à la fin des années 60, Manfred Mohr crée sa première série d’« êtres graphiques », toujours réalisées à main levée, mais faisant déjà référence aux éléments informatiques. Il nommera cette première association d’éléments musicaux et visuels ARTIFICIATA I, « artificial sonata ». Les travaux présentés à l’occasion de sa première exposition personnelle à la Galerie Charlot, font partie de la série ARTIFICIATA II, se situant en continuité avec ces premières investigations autour de l’abstraction géométrique comme musique visuelle.
De la même façon qu’un musicien qui improvise sur un thème musical, Manfred Mohr multiplie les combinatoires dans ses créations abstraites, explorant le rythme et la répétition, la boucle, les pauses… Selon ses mots : « Je réalise mon objectif artistique quand un travail terminé peut se dissocier du contenu logique et exister de manière convaincante comme une entité abstraite indépendante ».
Valentina Peri